Je ne suis jamais allée à Tortuga. Partis de Martinique, mer des Caraïbes, pluie d’étoiles mer et ciel, tempête tropicale, «tu vois la terre» ?
Voilier tanguant, voilier chavirant, voilier tenté par toutes les îles, voilier canicule, voilier aux petits espaces joliment privés, voilier maison, voilier cuisine, voilier solitaire.
On écaillait les poissons dehors sur le pont, en jetant les viscères par-dessus bord.
On coupait à la machette les noix de coco embarquées.
Mon sang de descendante de négriers faisait sans doute que je puisse courir sur le bateau, et y vivre comme sur terre sans avoir le «mal de mer».
Cette pauvre Hélène qui a passé une partie de sa vie à passer et repasser le concours de conservateur pour enfin l’obtenir je crois était verte comme les algues et pendue au bastingage avec son seau à côté.
Il est étrange de voir combien chez certaines personnes le corps est un fardeau qui a du mal à s’adapter aux différents éléments. C’est cela qui m’intéresse : y a t il dans le cerveau un adaptateur pour aller sur l’eau ? Ah voilà c’est le fruit d’une contradiction sensorielle. Et j’ai pu remarquer que les gens qui ont le mal de mer ont du mal à s’adapter ailleurs que dans leur petit monde…
Je crois que c’est à cause d’elle et de son mal de mer que nous ne sommes jamais allés à Tortuga.
Tortuga, plantée sous le soleil, Tortuga de la flibuste et des étapes corsaires.
Mon sang de négrière aimait follement et désespérément ce bateau et je sentais bien qu’en moi il y avait déjà eu depuis longtemps cette adaptation à l’océan et à tous ses pièges.
Et hop un verre de rhum ce soir (il y en a un qui s’appelle «la flibuste» et je ne le connais pas encore de goût)
Et hop !!! deux verres de rhum ce soir pour tenter d’oublier que je n’irai jamais à Tortuga.
Jacqueline Sarah Eléonore Menanteau, Icator

