QUI LUI A DIT : « ALLONS-Y ! » ???

Pour mon grand-père Pierre Menanteau

Ma grand-mère paternelle, qui habitait à quelques kilomètres de mon lieu de calvaire, à Evrunes, s’est sûrement fait harceler à Cholet, qu’elle fuyait tous les week-ends. 

Comme moi avec mes valises pleines de livres qui s’étalaient sur les quais avant de finir étalées dans une des chambres de ma maison de campagne, ici, où je subis mon calvaire. Je fuyais moi aussi tous les week-ends cet appartement trop bruyant, où je sentais chaque seconde défiler, défiler, défiler…

Pierre Menanteau ne disait jamais rien, ne me parlait presque pas, ne parlait presque pas, et son alcoolémie était juste un prétexte pour cacher des secrets. On aurait dit qu’il avait peur de parler. Cachait-il des images trop dures à dire ?

Son visage de loup était impressionnant, figé sur un corps qui avait dû être beau.


Quels harcèlements a pu subir cet homme pour un jour, une nuit, décider d’en finir ? Mais d’une manière bien particulière.

Est ce qu’un suicidé décide de déposer un soir sur une table tout le contenu de ses poches et de plier ses vêtements ? Pour aller finir dans une mare dans laquelle il s’est enfoncé loin de chez lui ? n’est-il pas plus simple pour vraiment se suicider d’avaler des gélules dans du vin ou de se pendre dans le jardin ?

Ce sont les chiens qui l’ont retrouvé. C’est cette phrase que l’on m’a dite.

Comment cet homme, un soir, un soir comme tous les soirs, a t il pu, l’alcool aidant peut être, sans doute, s’éloigner de sa maison, pour aller chercher l’eau dans laquelle il a pu se noyer ? 

Comment peut-on finir dans une flaque d’eau, ou presque ?… Comment peut-on sachant nager se voir noyer, se laisser immerger, submerger par l’eau ? Impossible. 

La police alors aurait dû faire au moins une autopsie.

On lui a refusé un enterrement annoncé et religieux pour finir dans une sordide cérémonie de passoire œcuménique. 

J’ai souvenir d’une espèce de charrette jusqu’au cimetière.

Pour revenir à ce qui m’occupe et me pré-occupe, je dirais ceci : y a t il une sorte de  maléfice qui frappe certaines familles et qui les suit bout à bout, pas à pas, jeune après vieux, lit après lit, pour ensuite faire une sorte ou une quelconque légende ?

Suffit-il de gagner toujours au Scrabble (ce qui était le cas de cette grand-mère) pour faire naître de ces jalousies séculaires qui m’obligeaient à lire La Sorcière de Michelet, car c’est ainsi qu’on appelait ma grand-mère… Connaître et savoir les plantes, quel bastringue ! Quelle sorte de défaut du siècle ! 

Pour finir elle dans un hospice où j’ai cru allant la voir finir à l’échafaud en la voyant sur son pot, cherchant la folie venir.

Jamais d’ailleurs je ne laisserai personne d’autre de mes proches y finir, à l’hospice, autant mourir.

C’est peut-être ce que s’est dit Pierre ce soir-là. Ou une sorte de vacuité, d’absence.

On aurait dit qu’il n’avait pas de racines, Pierre, comme s’il flottait.

Pour revenir à Pierre, quelqu’un ce soir-là, lui aurait-il dit : Allons-y ! pour dire que ce soir là le soir du loup faisait en sorte que le loup blessé pouvait se faire noyer ?

Des chiens l’ont cherché longtemps avant de le retrouver.

Sur ce chemin, le long de ce chemin, quel cheminement a fait Pierre au visage de loup et à la femme sorcière ?

Car alors peu d’hommes de son âge se suicidaient  vraiment. Certains étaient suicidés, vraiment.

Qu’est ce qui emporte un être soudain qui peut faire qu’il se transporte la nuit loin de chez lui, pour ne pas déranger ?

Ou sinon, qui dérangeait-il au point de lui susurrer soudain à l’oreille ces paroles interdites : «Allons-y !»

Jacques Brel aurait dit j’arrive mais Pierre a décidé d’accélérer la cadence.

Ce sont les chiens qui l’ont retrouvé.

Et cette phrase, apposée à ce que l’on me demande chaque jour dans mon deuil de TI, «suicide-toi» me semble signer un meurtre, même imaginé, peut-être réel.

Pour Pierre.

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